Chroniques

Comme Rachel, on pleure

photo Michel Laberge

Par Michel Laberge

Chroniques

1 novembre 2023

Crédit photo : Eric Ward / Unsplash

Hérode, ne voulant pas que Jésus devienne le Roi des Juifs et lui enlève son trône, a voulu s’enquérir auprès des mages pour savoir où il se trouvait. Il avait l’intention de le faire périr. Comme ces pèlerins ne sont pas retournés le voir pour l’aviser, Hérode sombra dans une telle colère qu’il commanda l’exécution de tous les enfants mâles de moins de deux ans vivant dans les environs de Bethléem.

Ce fut une grande tragédie. Depuis, elle est commémorée chaque année, le 28 décembre, et on l’a nommée la Fête des Saints Innocents. Ce terrible récit a aussi inspiré Robert Lebel, qui en a composé un chant intitulé La complainte de Rachel.

Comment ne pas penser à toutes ces Rachel dans l’état du Maine qui pleurent leurs enfants aujourd’hui, abattus lors d’une fusillade dans une salle de quilles et un bar-restaurant? Une catastrophe, une tragédie innommable! Mais comment se réconcilier avec la vie au-dessus d’un tel abîme? Je n’ai malheureusement pas de recette. Des mesures de prévention peuvent limiter ces évènements pour le futur, mais qu’en est-il des proches affligés en ce moment?

Par l’imagination, je me vois devant Rachel. Elle se tord de chagrin. Je n’ai rien à lui dire, rien. Le silence s’impose. Une main sur l’épaule, rien de plus. Puis la compassion me gagne et les émotions suivent. Je pleure sur le sort des victimes que je ne connais même pas. Je communie au désarroi de Rachel, mais, comme c’est la première fois que je la rencontre, ma profonde tristesse vient rejoindre quelque chose en moi et en nous tous : notre humanité profondément blessée. Je pleure sur notre monde et je me reconnais en lui.

 

Une société blessée

 

Cette triste hécatombe ne vient pas seulement d’un individu. Elle porte les empreintes d’un climat social sur lequel nous exerçons consciemment ou non une influence minime qui culmine sur des individus plus fragiles et plus blessés, eux-mêmes victimes soit de la guerre ou d’autres violences. Demain, ce sera peut-être moi, Rachel, moi qui me tordrai de douleur. Avec de tels propos, je ne fais pas l’unanimité. C’est plus facile d’éviter l’effet miroir en stigmatisant un coupable et en le condamnant… Un sale individu ! Nous demeurons alors les bons et lui, le seul mauvais. Il y aura encore des «lui» parce que nous aimons rester isolés dans notre monde familier et confortable.

Nous refusons de regarder les blessés de la vie avec compassion. Alors ils deviennent toujours plus meurtris, plus traumatisés et plus déséquilibrés. Un peu par notre indifférence à tous et toutes, ils deviennent des loups. Puis arrive l’inévitable, la surchauffe, la pression et l’explosion. Oui, mais, me dira-t-on, qu’aurais-je pu faire? Je ne le connaissais pas. C’est vrai, mais des cas semblables peuvent survenir ici. Y a-t-il dans mon environnement des gens fragiles, souffrants? Pour ma part, il m’arrive de préférer ne pas les voir. Il y a peut-être en moi un petit quelque chose d’eux que je ne veux pas voir. Les prisons sont-elles les poubelles de tout ce que nous rejetons de notre intérieur même?

Dans le temps de Jésus, ceux qui étaient victimes de catastrophes étaient considérés comme des pécheurs que Dieu punissait. Pour remettre les pendules à l’heure, Jésus insistait pour dire qu’ils n’étaient pas plus pécheurs que les autres. En s’adressant à tous, il disait : «Mais si vous ne vous convertissez pas, vous allez tous périr de même.» (Luc 13, 1-5) N’est-ce pas une invitation à prendre chacun sa part de responsabilité dans les catastrophes comme celle dont nous sommes témoins aujourd’hui?

Dans les pleurs de Rachel, il y a quelque chose de moi et de vous à pleurer.

À l’instar de Jésus, Rachel pourrait bien nous dire : «Ne pleurez pas sur moi; mais pleurez sur vous et sur vos enfants».

 

À PROPOS DE MICHEL LABERGE

L’auteur est marié et père de 4 enfants. Depuis sa retraite, il s’intéresse à l’organisme Développement et Paix (D&P) qui ont des partenaires dans plusieurs pays du sud. Il s’est joint à un groupe de huit personnes en 2010 pour aller visiter des partenaires en Bolivie. Michel a vu comment des organismes travaillaient à l’édification d’un monde meilleur, ce que Jésus appelait le Royaume de Dieu. Il a été vice-président de D&P du diocèse de Québec entre 2011 et 2014.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Toutes les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

Partager :

Suivez-nous sur Facebook

Suivez la fondation sur Facebook afin de rester informé sur nos activités, nos projets et nos dernières publications.

Je m’abonne

Envie de recevoir plus de contenu?

Abonnez-vous à notre liste de diffusion et nous vous enverrons un courriel chaque fois qu’un nouveau billet sera publié, c’est facile et gratuit.

Je m’abonne